« Il faut que vous disiez que la journée de la femme n’existe pas ! »

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Publié le 10 Mars 2018

Jeudi 8 mars, le couloir qui mène aux toilettes des filles du centre commercial de Jaude, sent bon ! Plusieurs adolescentes défilent avec une rose dans un papier carton-plastique à moitié transparent. C’est donc ça la journée des droits des femmes ? Pas seulement (heureusement), sur la place dehors, le combat s’organise et, bien sûr (?), ce sont les femmes qui sont aux micros. Synthèse d’une journée qui pourrait être comme les autres.

Sur la place Jaude, ambiance musicale et combative.

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Le collectif « 8 mars toute l’année » a appelé des syndicats, associations féministes et le planning familiale à se réunir en cette journée internationale des droits des femmes. Tracts à la main, les activistes happent les passants qui trainent le pas. Une ligne du temps géante, retrace la chronologie des combats et victoires sur l’émancipation des femmes et nous rappelle la longévité du combat.

La foule, intergénérationnelle et majoritairement féminine, s’épaissit pour atteindre son maximum vers 18h15, heure des premières prises de parole. « Ça n’est pas une fête mais une journée de convergence de toutes nos luttes », la représentante de « Osez le Féminisme » rappelle que le combat des femmes s’inscrit dans une lutte plus globale, qu’il s’agit d’une question de démocratie et d’un levier d’émancipation pour toute et tous.

« Il n’y a pas une femme, mais des femmes qui, jour après jour, sont confrontées aux « petites choses du quotidien » relevant de la domination masculine ». Des « petites choses » comme par exemple la taxe rose. Le fait que pour un même produit, le prix ne sera pas équivalent s’il est destiné à un public féminin ou masculin. Un casque rose chez Décathlon coûte plus cher qu’un casque bleu, autant qu’un rasoir rose coûte plus chère qu’un rasoir noir. C’est petites choses, elles ont décidé de les bruler. « Education genrée, injonction vestimentaire, culpabilisation de l’avortement, harcèlement de rue, hyper sexualisation, objectivation, temps partiel imposé, charge mentale, inégalité salariale, … » Tant de mots écris sur de grandes affiches brandies, puis écrasées dans une poubelle enflammée. La file est longue devant le feu et les femmes attendent patiemment de pouvoir bruler leurs maux chacune à leur tour.

Des chiffres s’ajoutent à la liste, avec cette récente étude (https://8mars15h40.fr, enquête ouverte jusqu’au 31 mars) lancée par le collectif « 8 mars toute l’année » qui encourage à témoigner de violences subies sur son lieu de travail et rappelle quelques réalités glaciales comme le fait que « Tous les 3 jours une femme meurt sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint », ou encore que « 10 viols ou tentatives de viol se produisent chaque jour sur un lieu de travail ».

Le rassemblement a aussi été l’occasion de rappeler certaines revendications plus locales, comme l’ouverture à Clermont Ferrand d’un centre d’accueil pour des femmes victimes de violences. Mais aussi d’évoquer des craintes plus générales sur l’évolution de la condition de la femme en France et au-delà « En Europe il n’y a pas les mêmes problèmes que dans le reste du monde, on est plus centré sur des questions de salaires, etc. » Cependant, les récentes polémiques autour de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse en Pologne ou, le combat actif du Congrès International de la Famille pour l’interdiction de ce même droit, sont décrit comme des signaux symptomatiques d’une mouvance générale réactionnaire en Europe face à laquelle, il faut rester sur ses gardes.

Le soir à l’hôtel de ville, changement d’ambiance avec l’anthropologue Meriem Rodary qui conclut la journée en offrant une réflexion plus internationale sur la question des droits des femmes. Du combat, nous passons à l’analyse de « La migration au prisme du genre » avec en guise de conclusion l’émergence d’une question qui dérange, « Est-ce qu’on aurait gagné notre indépendance au prix de celle d’autres femmes ? »  

Les statistiques révèlent en effet que si les femmes françaises passent aujourd’hui beaucoup moins de temps à s’occuper de leur maison, les hommes ne lessivent qu’un petit peu plus. Deux hypothèses d’explications selon Rodary. D’abord, et de manière minime, le progrès technologique. Mais, c’est davantage selon l’anthropologue « l’externalisation des tâches ménagères » qui expliquerait cette évolution asymétrique. Pour pouvoir travailler à l’extérieur de la maison, les femmes françaises sous-traitent et engagent une femme de ménage qui sera souvent d’origine immigrée et possède vraisemblablement une formation différente qu’elle mettra entre parenthèse. La « femme moyenne française » a donc pu sortir de la maison et vivre une forme d’émancipation non grâce à une implication plus partagée entre homme et femme dans les tâches ménagères, mais au prix de se faire remplacer par une autre femme qui avait probablement des aspirations différentes pour s’émanciper elle-même.

Des filles avec leur fleur aux toilettes à l’analyse sociologique des femmes migrantes, nous avons toutes et tous entendu parler de cette journée spéciale pour les femmes et leurs droits. Il en ressort que le féminisme est pluriel car la femme comme l’homme en tant qu’unité homogène n’existe pas. La force du combat tiendra sans doute à sa tolérance des formes qu’il prend. Il nous faut accepter que, comme le dit Meriem Rodary, « on peut être féministe mais on n’a pas tous les mêmes configurations et les mêmes choix ».  L’investissement de chacune et chacun, se structure autour de parcours, environnements et personnalités différentes. Si les discussions sur « ce qu’est le féminisme » persisteront tant que le mouvement existe, soyons vigilants à ce qu’elles se fassent en l’absence de jugement moral et d’idée préconçue sur « ce que doit être le combat » sous peine de perdre certaines idées caractérisant la force et la richesse du mouvement.

 

Gwendoline Rovai

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