» je préférais mourir noyé que de faire un pas en arrière »

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Depuis plusieurs mois, des familles de migrants sont laissées à l’abandon place du 1er mai à Clermont-Ferrand. Pour se faire entendre, aidées de plusieurs collectifs et associations, les familles ont décidé d’installer leurs tentes à l’université Gergovia, en plein centre de la capitale auvergnate. Une façon de faire réagir les pouvoirs politiques. À cette occasion, nous avons rencontré, ces hommes, femmes et enfants. Récits et portraits. 

 

Mardi soir, l’action de « déménagement » s’est faite en douceur. RESF, l’UNEF, Solidaires, la Ligue des Droits de l’Homme, La Cimade ou encore la CGT ont installé les tentes sur les pelouses de l’université. Un lieu symbolique, car public, central, permettant aux collectifs d’interpeller au mieux l’Etat. Le président de l’université a, lui aussi, montré sa solidarité, en promettant de ne pas faire intervenir les forces de l’ordre et en prévenant le cabinet du préfet et le ministère de l’enseignement supérieur. À la préfecture, ce changement de lieu, et ce raffut médiatique ont fait quelque peu bouger les choses: un rendez-vous a été donné à une délégation de 7 personnes, mercredi à 14H30. Après une longue tirade des représentants de l’Etat, (le préfet était absent à cette rencontre), la délégation a obtenu un engagement à résoudre le problème très rapidement, pour les personnes en attente de récépissé. Pour les déboutés, la préfecture s’est totalement désengagée. Des logements pérennes pour l’hiver devraient être attribués. La délégation, dont Mathieu Barberis, président de l’UNEF Auvergne, a rappelé l’obligation de respecter les droits des mineurs. En effet, 40 enfants sont actuellement dehors.  » Nous avons plus de 67 adultes, 40 enfants qui arrivent d’Albanie, Serbie, Côte d’Ivoire, Angola, ou encore Tchétchénie… »

Pour les collectifs, l’essentiel est l’auto-organisation. » Nos revendications sont les leurs. Chaque soir, nous organisons une Assemblée Générale. Ils veulent un logement pour tous et pour tout l’hiver. Nous les aiderons en ce sens » explique Mathieu. 

Evidemment, ce genre d’événements suscite maintes réactions. Si les étudiants ont montré leur solidarité et leur soutien, des commentaires racistes ont été formulés sur le site de nos confrères de France 3 Auvergne, sous le reportage qui montrait l’installation à la fac des migrants.  «  Bien sûr, nous avons dû essuyer des événements racistes, des militants d’extrême-droite sont venus filmer, ont déclenché des alarmes, ont cherché à provoquer des bagarres. Nous ne cédons pas à la pression. Je me suis fait retourner en prise de judo par l’un d’eux…Mais nous ne rentrerons pas dans leur jeu. » Beaucoup de gens en profitent pour faire la comparaison avec les SDF « français ». «  Les gens ne connaissent pas le fonctionnement des centres d’hébergement d’urgence, les droits auxquels peuvent prétendre plus facilement les français... » Mais, il en faut plus pour décourager le collectif qui est intervenu dans chaque cours de l’université pour prévenir enseignants et étudiants, un point info est organisé tous les midis. Une cinquantaine de militants se relaient jour et nuit. Alors que des enfants s’amusent sur les bancs de l’université, Mathieu me rassure  » Tous les enfants seront scolarisés la semaine prochaine, dans des écoles où il y a de la place, ça peut être loin d’ici, mais au moins ils iront à l’école… » 

Un peu plus loin deux hommes discutent, l’un d’eux a un œil très abîmé. Ils se décident à me raconter leur histoire. H. arrive d’Angola. Après une manifestation contre le pouvoir en place dans son pays, il a été arrêté et emprisonné. 2 ans de prison, pendant lesquels il exprime à demi-mot des actes de torture et d’intimidation. «  Dans mon pays, on nous met en prison, mais nous n’avons pas le droit à un procès. Ma femme aussi a été mise en prison. Nous avons 4 enfants. » Son épouse sortira avant lui et fuira jusqu’à la France, menacée de mort en Angola. Une fois sorti, H. décide de les rejoindre. Il arrive par le Portugal.  Sa femme et ses 4 enfants sont hébergés dans un CADA à Commentry. Sa route, à lui, s’arrête à Clermont-Ferrand. La préfecture décide d’appliquer les accords de Dublin. « Le règlement Dublin II vise à « déterminer rapidement l’État membre responsable pour une demande d’asile et prévoit le transfert d’un demandeur d’asile vers cet État membre. Habituellement, l’État membre responsable sera l’État par lequel le demandeur d’asile a premièrement fait son entrée dans l’UE. » Il s’agit donc pour H. du Portugal, premier pays européen où il est arrivé.  » Je n’ai pas le droit d’aller en France, mais mes enfants et ma femme sont ici…Moi je suis dehors. On ne peut pas me séparer de ma famille. Cette loi du sang doit être plus importante que les accords de Dublin…« H. est arrivé le 25 juillet 2017 sur le territoire français. Il n’a été hébergé que 3 semaines. Lors d’un hébergement précaire, il est tombé malade, avec de grosses poussées de fièvre. «  Le lieu d’hébergement était insalubre, humide. Je suis venu en France pour souffrir autant que dans mon pays. En Afrique, on ne laisse jamais les gens dehors comme ça… Mais je ne repartirai pas sans mes enfants. » 

À côté de lui, S. C’est lui à qu’il manque un œil. Il porte des lunettes pour le cacher. Il arrive de Côte d’ivoire. Son frère était garde du corps du président Gbagbo. Lorsque l’ancien président est déchu et est arrêté en 2011, une véritable chasse à l’homme est organisée dans tout le pays pour exterminer les  » complices » de l’ancien président. Un jour, des soldats entrent avec des kalachnikovs dans la maison de S., et tirent sur tout le monde. S. est le seul survivant. Atteint d’une balle dans l’abdomen, il est amené par une de ses voisines dans un hôpital. Mais le médecin refuse de l’opérer. Il commence même à lui injecter un sérum pour le tuer.  » Je n’avais pas l’argent pour l’opération, là-bas, si tu ne peux pas payer le docteur, il te tue. » Au bout de 5 jours, sa femme parvient à récupérer l’argent nécessaire pour l’opération. Il se fait soigner, mais les soldats apprennent qu’il est encore en vie, il doit se cacher constamment. Une fois remis sur pieds, il fuit. Burkina Faso, Niger puis Lybie. Là-bas, le cauchemar recommence. Il est kidnappé 4 fois pour de l’argent. Il prendra des coups si forts qu’il y perdra son œil. Il finit par s’échapper, et monte dans le premier bateau pour l’Europe. « Je préférais mourir noyé en avançant que faire un pas en arrière…Hors de question que je retourne en enfer… » IL parvient en Italie mais ne parle pas la langue, il se met à marcher et une nuit arrive en France. «  Là, des gens m’ont pris en voiture et m’ont déposé ici, à Clermont-Ferrand. Je ne veux plus bouger, j’aspire à un peu de paix et de silence. Même sans papiers, je reste. jamais je ne repartirai… » 

 

Eloïse Lebourg

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